lunedì 19 aprile 2010

Nanni Moretti s'invente un pape "sans aucune référence à l'actualité"

Pas de doute, c'est lui. La barbe, le pantalon de velours, la chemise boutonnée jusqu'aux poignets désignent le cinéaste Nanni Moretti comme, dans le passé, le bandeau sur l'oeil désignait John Ford. Quatre ans après le succès du Caïman (6,5 millions de spectateurs dans le monde) consacré à son meilleur ennemi, Silvio Berlusconi, Moretti a commencé le tournage de son prochain film, qui a pour titre Habemus Papam. Il s'excuserait presque de sa période d'inactivité : "Je suis un peu lent. On doit l'accepter."

Quatre ans donc pour trouver ce qu'il appelle "l'histoire juste" : celle d'un cardinal (interprété par Michel Piccoli) qui, sur le point d'être élu pape, doute et cherche du soutien auprès d'un psychanalyste (interprété par Moretti lui-même). "Un film, avait-il dit au quotidien La Repubblica en juillet 2009, qui cherche l'équilibre entre l'action, la plainte et une certaine légèreté."

Depuis, de nombreux scandales ont plongé le Vatican dans une des plus grandes crises de son histoire moderne. Moretti ne l'avait pas prévu, qui cherche à prendre ses distances avec l'actualité, soucieux de préserver l'originalité de son oeuvre : "Ce qui m'intéresse, dit-il, c'est le personnage. C'est un film qui se passe aujourd'hui mais sans aucune référence à l'actualité." Il insiste : "C'est un pape inventé." Et veut se rassurer : "Je ne crois pas que le regard du spectateur sera changé par ce qui se passe autour de Benoît XVI."

Soucieux de la vraisemblance de son scénario, écrit par les auteurs du Caïman, Federica Pontremoli et Francesco Piccolo, Moretti l'a fait lire par le président du Conseil pontifical de la culture, Gianfranco Ravasi : "J'étais curieux de connaître son opinion, mais je n'ai pas cherché son approbation. Le film se serait fait de toute façon."

Faute d'autorisation de tournage du Vatican, le réalisateur a trouvé au palais Farnèse, siège de l'ambassade de France à Rome, une forme d'asile. Dans ce palais dessiné par Antonio da Sangallo et Michel-Ange au XVIe siècle, il dispose de vastes salons, de loggias et de couloirs où faire tournoyer les soutanes. Le bureau de l'ambassadeur, Jean-Marc de La Sablière ("le plus beau bureau du monde", selon les diplomates qui s'y sont succédé), prolongé d'un balcon plongeant sur la place Farnèse, sera réquisitionné pour quelques prises.

D'autres plans ont été tournés à la Villa Médicis, siège de l'Académie de France. Pour la chapelle Sixtine, en revanche, ne restait qu'une solution : sa reconstitution dans les studios de Cinecitta, près de Rome.

"J'ai trouvé au palais Farnèse une sorte de Vatican miniaturisé, plus sobre", dit le cinéaste. Et pour cause. Alexandre Farnèse, son premier propriétaire, devint pape sous le nom de Paul III. "Nous recevons de nombreuses sollicitations de tournage, explique Jean-Marc de La Sablière. D'habitude on refuse, mais pour Moretti..."

Dans la cour du palais, les lignes d'un terrain de volley-ball ont été dessinées pour une des scènes-clés du film : une quarantaine de figurants, de rouge vêtus, se renvoient la balle entre deux tours de scrutin durant le conclave.

Changeant d'univers, passant d'un homme de pouvoir qui ne doute de rien (Silvio Berlusconi) à un homme de foi que le pouvoir inquiète, Moretti a-t-il tourné le dos à ses combats ? "Je ne suis ni habitué ni résigné", répond le cinéaste, qui travaille également à recueillir des archives télévisées sur le "Cavaliere" Berlusconi pour un documentaire. "Dans tous les pays, certains comportements d'un chef de gouvernement ou d'un chef d'Etat sont jugés et punis par les électeurs. Nous, en Italie, vivons dans une anormalité démocratique exceptionnelle, où un homme, qui possède un monopole médiatique, peut aussi faire de la politique, devenir chef du gouvernement et agresser quotidiennement la magistrature. Mais les personnes qui dénoncent cet état de fait sont accusés d'être ennuyeuses, banales, obsessionnelles."

Plus de dix années ont passé depuis que son personnage dans Aprile (1998) implorait le leader de l'opposition italienne, Massimo D'Alema, de dire "quelque chose de gauche". Aujourd'hui, la gauche est en miettes. "L'important est de faire quelque chose de gauche, mais quand la gauche a été au gouvernement, de 1996 à 2001, elle n'est même pas arrivée à faire une loi sur le conflit d'intérêts ou une loi antitrust. Cela n'aurait pas été une chose de gauche, mais un simple acte démocratique : non contre Berlusconi, mais pour tout le monde."

Nanni Moretti se lève, enfile sa parka, et demande à relire ses propos avant publication : "Je ne sais pas vous, mais moi je rentrerai bien chez moi manger des pâtes." Habemus Papam devrait sortir sur les écrans du monde entier entre décembre 2010 et mars 2011.

Philippe Ridet (www.le monde.fr)

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