martedì 7 dicembre 2010

A proposito di Wikileaks

Wikileaks: l’opacité de la transparence

Moins d’une semaine après le début de la publication des télégrammes du département d’Etat américain par un certain nombre de médias, je vous propose un bilan provisoire du « cablegate »:

Rappel des faits. A l’exception du New York Times qui les a reçu du quotidien britannique The Guardian, quatre médias (The Guardian, Der Spiegel, El Pais et Le Monde ) ont été choisis par Wikileaks pour recevoir les 251 287 télégrammes diplomatiques du département d’Etat américain couvrant une période allant de 2004 à mars 2010 pour 90 % d’entre eux, les autres remontant jusqu’à 1966.

Un peu plus de la moitié de ces documents ne sont pas classifiés, 40 % sont classés « confidentiels », environ 7 % (16 652) sont classifiés « secrets ». 3 802 documents ont été envoyés depuis la France. Aucun mémo n’est « Top secret », le plus haut degré de classification aux Etats-Unis. En vertu de la législation américaines, les documents classés « confidentiel » auraient été accessibles au bout de 10 ans, ceux classés « secret » dans un délai de 20 ans. Quelque 900 000 employés du gouvernement américain ont accès aux documents classés « secret ».

Ces cinq publications décident au fur et à mesure de la publication de leurs articles et de la sélection des télégrammes mis en ligne par leurs sites et par Wikileaks. Les mémos destinés à être publiés sont édités ensemble afin de protéger les identités des individus qui pourraient être menacés. Wikileaks s’est engagé à ne publier les télégrammes qui ne seront pas utilisés par les cinq journaux qu’ultérieurement, une fois toutes les idenités protégées par ses soins.

Bradley Manning. Wikileaks n’a pas révélé l’identité du ou des individus qui lui ont fournir les documents. Le suspect numéro un se nomme Bradley Manning, un soldat américain agé de 23 ans, arrêté et incarcéré après avoit été dénoncé au FBI par le hacker américain Adrian Lamo. Depuis Bagdad, cet analyste de renseignement militaire s’était vanté, au cours d’une discussion en ligne, d’avoir copié des documents secrets explosifs sur un disque, en prétendant écouter Lady Gaga. « Hillary Clinton et des milliers de diplomates à travers le monde auront une attaque cardiaque quand il se réveilleront un matin et découvriront que la totalité de la banque de documents classifiés de politique étrangère a été mise à la disposition du public, sous un format accessible… Partout où il y a un poste diplomatique américain, il y a un scandale qui sera révélé… C’est super, et effrayant ».

Potins diplomatiques. Qu’avons nous appris jusque là ? Quelques surprises, beaucoup de confirmations et aucun scandale. Beaucoup de « potins » diplomatiques sur des personnalités en vue, de Nicolas Sarkozy au colonel Kadhafi, en passant par Silvio Berlusconi, Robert Mugabe, le leader tchétchène Ramzan Kadyrov, Vladimir Putin ou le Prince Andrew. Au delà de cet aspect trivial, les télégrammes reflètent avant tout le travail de diplomates professionnels dans l’exercice normal de leurs fonctions: collecte d’informations auprès de leaders étrangers et analyse, recherche d’actions communes, pression sur les alliés et les adversaires.

Une révélation embarassante. C’est l’instruction donnée par le département d’Etat à ses diplomates de collecter les « données biométriques », y compris les « empreintes, photos d’identité, l’ADN et les scans rétiniens » de dirigeants africains et de récolter, y compris à l’Onu, les mots de passe, clés de chiffrement personnelles, numéros de cartes de crédits, comptes de voyageurs fréquents et autres données personnelles de leurs homologues diplomates.

Des confirmations. Ce que disent en privé les responsables politiques ne correspond pas toujours, on peut s’en douter, à leurs déclarations publiques. Sur le fond, rien de fondamentalement nouveau dans le fait que l’aspiration de l’Iran a l’hégémonie régionale et son programme nucléaire rendent les leaders sunnites des pays du Golfe aussi nerveux que les dirigeants israéliens. Tout rapprochement entre les Etats-Unis et l’Iran modifierait l’équation stratégique de la région et menacerait leurs relations privilégiées avec Washington. Rien d’étonnant, non plus, dans le fait que le roi saoudien Abddallah n’apprécie pas le Premier ministre irakien chiite Nouri al-Maliki, que le président yéménite revendique la paternité des frappes aériennes américaines contre al Qaeda dans son propre pays ou que le gouvernement chinois se trouve derrière la cyberattaque contre Google en 2009.

La diplomatie américaine mise à mal. La divulgation est en elle-même plus importante que le contenu. La publication des télégrammes porte un coup significatif au prestige et à la crédibilité de la diplomatie américaine, perçue comme incapable de protéger la confidentialité de ses analyses et de ses évaluations. Les fuites compliqueront le travail des diplomates du département d’Etat avec leurs alliés et partenaires. Dans leurs échanges et les comptes-rendus qui en seront fait, la prudence, la méfiance et l’autocensure risquent de prendre le pas sur la confiance et le franc-parler. De peur d’être exposés et rendus vulnérables, certains pourraient devenir plus méfiants dans leur coopération avec les Etats-Unis.

Première victime des fuites, Helmut Metzner, chef de cabinet du ministre des affaires étrangères allemand Guido Westerwelle, a donné jeudi sa démission, après avoir été identifié comme la source d’information de l’ambassade américaine au moment des négociations entre chrétiens démocrates et libéraux pour la formation du gouvernement. William Crosbie, ambassadeur du Canada en Afghanistan, a offert la sienne après la publication d’un télégramme relatant son point de vue sur le président Karzaï et sa famille.

Les gouvernements resserrent les boulons. Wikileaks affirme que ses fuites rendront les gouvernents plus ouverts. C’est tout le contraire qui se passe. L’administration Obama a annoncé une révsion des procédures de sécurité de l’information dans toutes les agences fédrales et les administrations. Le partage des informations mis en place après les attentats du 11 septembre 2001 entre le Pentagone et le département d’Etat a été suspendu: les télégrammes diplomatiques stockés sur la base de données du département d’Etat ne sont plus distribués sur le réseau internet du Pentagone. En France, les autorités vont redéfinir les modalités de transmission des documents diplomatiques. Des Etats réputés démocratiques trouveront dans cette affaire une raisson supplémentaire de réglementer et surveiller Internet de plus près.

La fuite en avant de Julian Assange. Le fondateur mégalomane et autocratique de Wikileaks se veut le champion de la transparence totale. « L’histoire gagnera. Le monde sera meilleur » disait-il hier sur le site internet du Guardian. Pour cet ancien hacker australien (fondateur du groupe « International Subversives », il s’était affublé du surnom de « splendide mendax » ou »menteur glorieux », emprunté à Horace), informaticien surdoué, élevé par sa mère en marge de la société, le recours aux fuites massives de données numériques s’inscrit dans un combat de l’individu contre le système, une mission messianique contre les méfaits des gouvernements et des institutions. « Dans un texte daté du 2 décembre 2006, intitulé « De la conspiration comme mode de gouvernance », il affirme vouloir ainsi perturber les lignes de communication internes des régimes autoritaires dont les élites conspirent au détriment du « peuple ». Un « mouvement social » exposant leurs secrets peut « faire tomber de nombreux gouvernements fondés sur la dissimulation de la réalité, y compris le gouvernement des Etats-Unis ». « L’Amérique est une société de plus en plus militarisée et une menace contre démocratie » affirmait-il, en octobre dernier, à Londres.

Drapé dans son personnage de chevalier blanc de l’information, engagé dans un combat singulier contre le Pentagone, le département d’Etat et les banques américaines, Julian Assange alimente la paranoïa conspirationniste d’un grand complot américain, à l’oeuvre aux quatre coins du monde. Déjà, en Russie, en Turquie et en Iran, -pour ne citer que quelques exemples-, des responsables politiques accusent les Etats-Unis et/ou Israël d’être derrière les fuites de Wikileaks.

Son statut de fugitif, visé par un mandat d’arrêt d’Interpol dans le cadre d’une enquête pour « viol et agression sexuelle » en Suède, contribue à entretenir son image de « Robin des bois » de la toile. Légalement difficile, toute action en justice engagée contre lui par les Etats-Unis le transformerait immédiatement en héros planétaire, »martyr » de de la cause des « geeks ».

Paradoxe éclatant, Wikileaks, entreprise apatride et nomade, échappant à tout contrôle et à toute juridiction, reste une organisation parfaitement opaque dans son fonctionnement et son financement.

Jouissance auto-destructrice. Comme le souligne Thomas L. Friedman, chroniqueur au New York Times, les télégrammes reflètent avant tout la « fuite de puissance » des Etats-Unis, en perte d’influence géopolitique, du fait de leur double dépendance envers leurs importations de pétrole et leur créditeur chinois. La jouissance voyeuriste à voir ainsi s’accélérer l’affaiblissement de la puissance américaine sur la scène mondiale me semble malsaine et infantile.Quel en sera le bénéfice pour le citoyen des démocraties, dites libérales, du monde occidental ? Qu’y gagnerons-nous sur la scène internationale, dans les négociations avec la Corée du Nord, l’Iran ou en Afghanistan ? En quoi la « transparence » revendiquée par Wikileaks et ses supporters favorisera-t-elle la négociation d’un accord israélo-palestinien ?

WikiChina. Depuis un an, Wikileaks concentre ses tirs sur l’Amérique et c’est ce qui fait sa notoriété. L’organisation est devenue célèbre en avril 2010 avec la diffusion d’une vidéo, montrant un hélicoptère américain tirant sur des civils à la mitrailleuse, au cours d’une opération militaire dans un quartier de Bagdad. En juillet, elle a récidivé en publiant 77 000 documents confidentiels rédigés par des militaires américains en Afghanistan. Puis, en octobre, 400 000 autres documents militaires amércains sur la guerre en Irak. Dans une interview publiée dans le magazine économique Forbes, Julian Assange affirme que sa prochaine cible sera, au début de l’année prochaine, « une grande banque américaine » qui pourrait être Bank of America… On attend le jour où Wikileaks divulgera les télégrammes diplomatiques de la République populaire de Chine ou de la Corée du Nord.

Internet n’est qu’un outil. Les citoyens, internautes ou non, bénéficieront-ils des fuites massives orchestrées par Wilkileaks ? Internet peut favoriser la transparence en facilitant l’accès aux documents administratifs ou gouvernementaux et le contrôle des élus par les citoyens. En même temps, Internet peut devenir un instrument d’opacité et de manipulation pour des citoyens forcément inégaux dans leur capacité à décrypter une quantité sans cesse décuplée de données disponibles, à déméler le vrai du faux, le réel du virtuel. Loin d’annoncer le « grand soir » des internautes contre les « puissants », l’entreprise Wikileaks pourrait bien ajouter à la confusion générale des esprits qui caractérise nos sociétés médiatiques.

La transparence n’est pas une vertu absolue. La fuite de données classifiées peut servir l’intérêt général, la démocratie et l’Etat de droit, si elle révèle des abus de pouvoir, des conflits d’intérêts, des affaires de corruption, des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. En revanche, à quoi sert la transparence si elle ne préserve pas le respect de la vie privée et paralyse l’action publique ?

Le secret peut être utile et nécessaire dans l’exercice de nombreuses activités, publiques ou privées. Les hommes politiques et les diplomates n’ont-ils pas droit à, au même titre que les avocats, juges, médecins, psychologues, psychanalistes, experts comptables et journalistes à bénéficier d’une part de confidentialité dans leur travail ?

L’utopie d’une politique menée dans la transparence n’est pas nouvelle. Après la première guerre mondiale, Woodrow Wilson avait mené une croisade contre la diplomatie « secrète » qui, selon lui, avait mené au carnage de la guerre de 14-18. En 1917, le 2e congrès des soviets avait adopté un « décret sur la paix » abolissant la diplomatie secrète et proclamant son intention de « mener les pourparlers en toute franchise, devant le peuple entier ». « L’histoire montre que le secret est une composante essentielle de toute négociation » rappelle l’historien Paul W. Schroeder, aucune fusion de société, aucun règlement juridique complexe, divorce à l’amiable ou compromis politique sérieux, ne pourront jamais être conclu sans un sérieux degré de confidentialité »

Wikileaks et la presse « de qualité ». Pour la deuxième fois consécutive, Wikileaks partage l’exclusivité, en amont de leur publication, des documents en sa possession avec des médias « traditionnels ». Un mode opératoire très efficace. Les grands journaux choisis par Julian Assange lui apportent leur caution d’expertise et de qualité et une forme de couverture légale. Leur participation assure à la divulgation des documents un retentissement que n’aurait jamais eu une simple mise en ligne sur le site Wikileaks. Ces médias ont-il fait leur travail de sélection et de hiérachisation comme ils l’affirment ? Au besoin, en décidant, après examen, de ne pas participer à la publication de tout ou partie des documents classés qui ne servirait pas l’ intérêt public ? Ou ont-ils succombé à la tentation d’entretenir un feuilleton médiatique au long cours, produit du « buzz » et de la « peoplisation », avec des retombées inespérées pour la fréquentation de leurs sites ?

« La décision de déballer telle ou telle archive plutôt qu’une autre a fait l’ojet, on les sait, d’une négociation: entre les pirates et la presse, puis entre celle-ci et les gouvernants » écrivait récemment Elisabeth Roudinesco dans Libération. »Dans cette partie à trois, les premiers sont des voleurs d’archives, les seconds imposent une sélection au nom d’une déontologie qui leur est propre et les troisièmes négocient avec les seconds pour rester maîtres d’un évènement qu’ils ne contrôlent pas ».

Question: Qui a instrumentalisé qui, dans le couple infernal du hacker et du journaliste, de Wikileaks et de la presse « de qualité » ?

Et pour quel profit ?

4 dicembre da la-croix.com

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